Larionov fut avec Diaghilev et Stravinsky l’un des créateurs des Ballets Russes pour lesquels il composa de nombreux costumes et décors, mais il ne faut pas oublier qu’il fut surtout le premier peintre à s’intéresser à l’abstraction, son premier tableau abstrait date de 1909 et précède la toile historique de Kandinsky et qu’il fut le créateur du Rayonnisme et du Néoprimitivisme, imposant un art brut plus de trente ans avant Dubuffet.
Mikhail Fiodorovich Larionov est né à Tiraspol, en Moldavie le 3 juin 1881 et est mort à Fontenay-aux-Roses, près de Paris, le 10 mai 1964. Il était le fils de Fiodor Mikhailovich Larionov, un docteur et pharmacien et d’Aleksandra Fiodorovna Petrovskaia, mais il a grandi dans la maison de ses grand-parents à Tiraspol. Il a étudié au Collège Technique Voskresenskii à Moscou et en 1898 il est entré dans l’École de Peinture de Moscou, Sculpture et Architecture. Là il a rencontré Natal’ia Goncharova, qui est resté sa compagne toute sa vie.
Nathalie Gontcharova et Michel Larionov, d’abord honnêtes peintres dans le genre impressionniste, formeront le » couple-phare » de l’avant-garde russe du début de ce siècle. A l’occasion d’un voyage à Paris où, en 1906, Serge Diaghilev organise une grande exposition d’art russe dans le cadre du Salon d’Automne, Larionov découvre la peinture de Matisse, Derain, Rouault, la peinture » fauve » qui a fait scandale au Salon d’Automne de 1905, et aussi la peinture » primitiviste » de Gauguin, mort en 1903 à Tahiti, et auquel on consacre alors une rétrospective. Deux ans plus tard, se tient à Moscou la première exposition qui met en face à face l’art russe et l’art français, vaste panorama de près de 200 oeuvres où sont représentés tous les courants novateurs de la peinture occidentale: de l’Impressionnisme au Fauvisme, en passant par le Post-Impressionnisme et les peintres Nabis.
Au début de l’année 1912, Larionov se brouilla avec les initiateurs du « Valet de carreau », parce que la répétition des expositions leur donnait un caractère institutionnel. Sans doute aussi les trouvait-il trop bien disposées vis-à-vis des divers courants. Il décida d’organiser une exposition consacrée uniquement au néo-primitivisme et l’appela « La queue de l’âne », en réponse aux propos de Répine. Le titre de la manifestation provoqua à lui seul un scandale. C’est ainsi que les peintures religieuses de N. Goncharova furent enlevées des cimaises, la police jugeant blasphématoire leur présence sous une telle étiquette. Par ailleurs, les autorités de l’Ecole de sculpture, de peinture et d’architecture, qui avaient prêté les locaux, interdirent tout affichage à l’extérieur.
Dès lors, Larionov et Gontcharova, et quelques autres artistes, partant de ces » modèles » explorent la voie d’un néo-primitivisme qui fait une large part à l’art populaire russe, aux icônes, aux imageries traditionnelles, aux enseignes de boutiques: un métissage artistique d’une grande expressivité où s’exprime une indéniable identitéculturelle. Cet art ouvert aux apports les plus modernes et profondément enraciné dans une longue tradition d’images connaîtra son apogée en 1914, avant que l’art abstrait ne s’affirme avec le » Rayonnisme » de Larionov, le » Suprématisme » de Malévitch et le » Constructivisme » de Tatline. Installés en France, Larionov et Gontcharova se consacreront prioritairement aux décors de théâtre, mais resteront fidèles au Rayonnisme dont une exposition rétrospective sera organisée à Paris en 1948. L’exposition du MNAM est l’occasion de retrouver le travail, peu connu en France, de ces précurseurs de la modernité, et notamment des oeuvres faisant partie de la donation de l’Etat soviétique à l’Etat français en 1988. Parallèlement à cette exposition, la Bibliothèque publique d’information-Centre Pompidou, présente un ensemble de livres futuristes où l’on retrouve les noms des deux artistes. Le couronnement de la période naïve de Larionov fut la composition de grandes toiles presque entièrement travaillées au trait. Il représenta plusieurs fois de cette façon « Le Printemps », il peignit aussi dans le même style, à la détrempe, une « Vénus ». Ce sont de grands nus féminins dessinés par un épais trait noir sur fond clair, sans aucun volume. mais, dès 1907, il étudiait un autre aspect de son art, le Rayonnisme. Il cherche à définir les objets par les rayons invisibles qui émaneraient d’eux: « Entre les formes objectivées devant nos regards, il y a un réel, indéniable croisement de rayons provenant de formes différentes. ces croisements composent de nouvelles formes non tangibles que l’oeil d’un peintre peut voir… Le Rayonnisme est la peinture de ces formes non tangibles, de ces produits infinis dont tout l’espace est rempli » . Il traduira ces rayons par des formes dynamiques aiguës et des couleurs chatoyantes. Son humour réapparaît dans le choix de ses titres, comme « Saucisson rayonniste et maquereaux », qu’il peint en 1912 et expose, à « La cible », à Moscou, en 1913. Dans la même exposition, Gontcharova présentait « Le cycliste » et d’autres tableaux rayonnistes dont le « Portrait de Larionov ». On a souvent comparé le Rayonnisme et le Futurisme mais, comme on le comprend à la lecture des textes de Larionov, il y a de grandes différences d’intentions. Il est vrai que certaines oeuvres de Gontcharova se rapprochent de celles de Boccioni, mais les Russes ne songent en aucune façon à faire l’éloge de la société industrielle, de la vitesse, du bruit des machines et de la rumeur des villes. Ils tentent de montrer les rapports d’un objet particulier avec son environnement immédiat, pour créer une dynamique. En outre, selon Larionov, il est question de découvrir la peinture comme but en soi et non comme moyen d’expression.