« La Moldavie à la croisée des chemins »
de : Florent PARMENTIER
Editions editoo.com
Moins bien connue que les autres nations d’Europe Centrale et Orientale, la Moldavie est souvent associée, dans l’univers francophone, à la Syldavie de Tintin imaginée par Hergé ! Ce pays, situé entre les Balkans et les plaines continentales et non loin du Danube, des Carpates, de la mer Noire et d’Odessa, a pourtant représenté, tout au long de son histoire mouvementée, un territoire hautement stratégique.
S’appuyant sur un corpus documentaire particulièrement riche, Florent Parmentier, diplômé de Sciences Po Paris et auteur de nombreux articles sur l’Europe de l’Est, propose ici un essai passionnant sur un Etat ô combien paradoxal.
La Moldavie semble en effet tiraillée entre les chemins opposés de l’archaïsme et de la modernité : d’un côté, elle se montre capable d’intégrer les grands organismes internationaux, tels le Conseil de l’Europe ou l’OMC ; d’un autre elle s’avère incapable de maîtriser son territoire avec la sécession de fait de la Transdniestrie. Partant de ce mystère, ce livre constitue une synthèse inédite et éclairante, qui nous invite à découvrir en détail une contrée qui, en 2007, sera ni plus ni moins voisine de l’Union Européenne.
« Dites d’ailleurs, à l’Europe, que, ne fût-ce
que pour son être matériel, elle ne doit pas
s’arrêter à elle-même, s’enclore dans un
nationalisme à la deuxième puissance.
Montrez-lui l’exemple de Rome, qui a péri le
jour où elle a contrarié le principe extensif
dont elle se nourrissait depuis des siècles et
où elle a refusé aux Barbares de s’insérer
dans son orbite. »
Julien Benda,
Discours à la nation européenne, 1933.
La Moldavie sera, en 2007, une périphérie de l’Union
Européenne, avec la Biélorussie et l’Ukraine, suite à la vague d’élargissement comprenant la Roumanie et la Bulgarie. Or, ce voisin en devenir demeure aujourd’hui mystérieux. Moins bien connu que les pays de l’ex-Yougoslavie, les pays baltes ou les pays d’Europe Centrale et Orientale, il est souvent associé, dans l’univers francophone, à la Syldavie de Tintin imaginée par Hergé.
La Moldavie est pourtant extrêmement francophile, du fait de sa latinité. Elle est membre de la francophonie depuis le sommet de Cotonou en 1995, et plus de la moitié des élèves de la république moldave apprennent le français en première ou deuxième langue étrangère. Ce pays est cependant plus célèbre pour les différents trafics dont sa population est la première victime que pour sa proximité linguistique avec les autres pays latins. Il représente, en effet, une cible facile pour les flux et réseaux mafieux ; d’où l’expression, parfois utilisée par les observateurs à son égard, de « trou noir ». On estime ainsi que 100.000 à 200.000 femmes en Moldavie se sont retrouvées sous l’emprise de réseaux internationaux de prostitution. En lieu et place d’une vie meilleure, elles ont été de force intégrées dans ces flux criminels qui inquiètent l’opinion. Rares sont, hélas, les ONG européennes et internationales qui orientent leurs activités vers ces problèmes, pourtant urgents, faute de crédits internationaux et de connaissance du terrain.
Etat issu de la désintégration de l’URSS en 1991, la
Moldavie est de dimension modeste (33.700 km²), comparable
à la Belgique. Encastrée entre la Roumanie et l’Ukraine, elle n’a qu’un accès indirect à la mer, le long du Danube, de quelques centaines de mètres. Avec environ 4,3 millions d’habitants, sa population est similaire à la Croatie ou à la Norvège. Il faut cependant prendre en considération le poids de l’émigration, particulièrement important durant une décennie de transformations douloureuses. Sa capitale, Chisinau (Kichinev de son nom russe), compte environ 770.000 habitants, et le niveau de vie y est deux fois supérieur au revenu moyen moldave, le plus faible d’Europe : à peine supérieur à 400$ par tête et par an. La Moldavie est un pays de plaines et de collines alluviales. Son climat ensoleillé et ses terres noires en font un
endroit favorable à l’agriculture. Il n’est guère étonnant dès lors de voir que plus de la moitié de la population est encore rurale.
Elle est composée majoritairement de roumanophones –
environ 65% de la population, selon le recensement de 1989 –
mais compte d’importantes minorités : Ukrainiens, Russes,
Gagaouzes, Bulgares, Juifs… Elle s’est d’abord affirmée
comme une principauté indépendante, puis a été dominée par
les Ottomans, avant d’être conquise par les Russes en 1812. Par la suite, elle est réunie avec d’autres terres roumaines en 1918, pour devenir, suite à une annexion, une république soviétique en 1940. Son indépendance, acquise en 1991, sera consolidée contre toute attende tant l’hypothèse d’une réunification avec la Roumanie semblait la plus probable.
Pour son histoire compliquée – entre Empire ottoman,
Russie et Roumanie – pour sa diversité ethnique, mais aussi
pour son expérience historique des dernières années, on peut
dire que ce pays, malgré ses dimensions modestes, constitue un résumé vivant de l’Europe Centrale et Orientale. Région
stratégique, située entre les Balkans et les plaines continentales, et non loin du Danube, des Carpates, de la mer Noire et d’Odessa, la Moldavie a formé l’avant-poste russe pour le contrôle du Danube et des détroits au cours du XIXe siècle. Ce territoire, objet de rivalité tout au long du XXe siècle entre la Roumanie et l’URSS, connaît donc une identité incertaine, dufait de son histoire complexe.
Notre interrogation majeure est la suivante : la
Moldavie peut-elle devenir un Etat-nation viable, ou est-elle condamnée à ne rester qu’un Etat faible en périphérie de l’Europe et s’enfonçant dans une crise durable ?
La Moldavie se trouve dans une configuration difficile
pour construire un Etat avec toutes ses attributions modernes, tant sur le plan interne qu’externe. L’histoire de « longue durée », chère à Fernand Braudel, aide à expliquer les difficultés qu’elle rencontre aujourd’hui.
-Le territoire moldave contemporain constitue l’héritage d’une situation historique de confins. La division actuelle de la Moldavie, avec le problème transdniestrien, réitère une ligne de démarcation entre un espace qui jadis a fait partie de la Roumanie et un autre qui est resté sous domination russe et soviétique. La situation présente
de la Transdniestrie, à savoir son indépendance de fait, nous amène à nous interroger sur les spécificités de l’Etat moldave, sur sa nature : la notion d’Etat faible peut-elle s’appliquer à la Moldavie, et celle de pseudo-Etat à la Transdniestrie ? La création d’un Etat viable, c’est-à-dire, selon le mot de Max Weber, disposant du « monopole de la violence physique légitime » accepté par ses concitoyens, semble, en tout cas, être un processus encore en cours aujourd’hui. Sa réussite dépend d’une série de conditions politiques, économiques, sociales et
institutionnelles, qui sont indispensables à la Moldavie afin d’assurer la stabilité et la sécurité de son Etat.
-La Moldavie est donc bel et bien un pays à la croisée
des chemins. Tout d’abord, d’un point de vue géopolitique, il est situé entre la Russie, la Roumanie et l’Union Européenne et constitue ainsi une route stratégique entre la Russie et les Balkans, mais aussi entre l’Europe Centrale et la mer Noire.
-Politiquement ensuite, la Moldavie est en elle-même à la croisée des chemins entre la République d’URSS qu’elle a été par le passé et l’Etat-nation moderne qu’elle ambitionne de devenir.
Dans cet entre deux, elle est tiraillée entre les chemins opposés de l’archaïsme et de la modernité, comme le montrent, d’un côté, sa capacité à intégrer des organismes internationaux, tels : ( Voir « Dominique COLAS L’Europe post-communiste. Paris : Presses Universitaires de France. 2002. 693 p.70/77 ») que le Conseil de l’Europe et l’OMC, et de l’autre son incapacité à maîtriser son territoire, avec la sécession de fait de la Transdniestrie. Il s’agit d’un pays conscient de sa proximité évidente avec la Roumanie, dont la population est majoritairement roumanophone, mais qui a refusé de se fondre avec cette dernière. Il a essayé de s’affirmer et de se construire sur des fondements civiques. Malgré certains résultats encourageants durant les premières années d’indépendance, les difficultés se sont depuis accumulées. Des solutions existent, mais la Moldavie ne pourra pas résoudre tous ses problèmes sans une aide extérieure…
-L’ouvrage cherche à démontrer que l’Europe aurait tout à gagner à s’impliquer davantage dans l’évolution de ce
pays. Cependant, elle doit prendre en compte les spécificités moldaves afin de l’aider à devenir un Etat-nation viable ; d’où notre étude détaillée qui s’efforce de les expliciter en s’appuyant notamment sur un matériau historique. Elle se veut une synthèse inédite d’une décennie de transition en tentant d’appréhender diverses dimensions : historiques, politiques, ethniques, culturelles, économiques. Elle se place dans une
perspective internationale afin de mieux comprendre
l’importance des enjeux que soulève l’avenir incertain de la
Moldavie.